Les années du silence
Dans la Tora, le terme d’impureté a un sens assez lointain de celui très flou qu’il connaît aujourd’hui. D’une manière général, l’impureté a pour origine Toute personne midayant contractée le plus haut degré d'impureté au contact d'un mort est interdite d'entrée au Sanctuaire. La loi de la vache rousse décrit le mode de purification de cette impureté.De toutes les lois de la Tora, celle de la vache rousse est souvent considérée comme la plus étrange. Elle semble "magique" et intervertit le pur et l'impur, la vie et la mort. Un autre aspect de cette loi ajoute à son mystère : son emplacement dans la Tora. Elle est placée entre la révolte de Qorah et la nouvelle plainte des enfants d'Israël qui demandent de l'eau. Quelle séparation la loi de la vache rousse établit-elle entre ces évènements. Quel lien entretient-elle ?
Le moment et la place de la loi de la vache rousse
Pourtant dans le début du livre de Bamidbar, il est déjà question de cette purification. En raison de leur impureté, des hommes se plaignent en effet à Moshé de ne pas pouvoir offrir le sacrifice pascal en son temps. D. dit alors à Moshé qu'ils doivent l'offrir le mois suivant, une fois purifiés. Cette loi du pessah shéni / deuxième pâques date du premier mois de la deuxième année après la sortie d'Egypte. La loi de la vache a donc été enseignée, au plus tard, à cette date et non entre la révolte de Qorah et la plainte des enfants d'Israël à Mériva. Il en ressort que la loi de la vache rousse a été déplacée de son contexte et insérée au centre du Livre de Bamidbar. Une telle étude de datation, appliquée aux autres épisodes du Livre de Bamidbar, apporte un éclairage très utile à la compréhension du texte. On découvre ainsi que la loi de la vache rousse est située précisément à l'endroit d'un long silence de la Tora.
Où se situe, dans le texte, la loi de la vache rousse ? Les sidrot précédentes décrivent comment le peuple se plaint de la manne, perd espoir après le retour des explorateurs puis est condamné à passer en tout quarante ans dans le désert. Le peuple participe également dans une certaine mesure à la révolte de Qorah et subit ses tragiques conséquences. Dans les récits suivant, le peuple se plaint encore du manque d'eau, a cette fois en dégout la manne et se laisse séduire par la débauche et l'idolâtrie. Rien ne semble donc changer radicalement. Pourtant les deux ensembles de récits diffèrent au moins sur deux points. 1. Ils se déroulent à au moins 37 ans d'écart. 2. Il s'agit donc de la génération suivante. La loi de la vache rousse se situe donc précisément en lieu est place de l'histoire de 37 années de la traversée du désert !
D'une génération à l'autre
Sans une lecture un peu attentive on ne se rend pas compte de ce saut dans le temps. Non seulement la Tora ne le dit pas clairement, mais elle entretient même la confusion. Les récits de la quarantième année sont introduits par un verset apparemment anodin (Nom. 20, 1) :
"Les enfants d'Israël arrivèrent - toute l'assemblée - au désert de Tsin, dans le premier mois, et le peuple s'arrêta à Qadesh."
"Dans le premier mois" de quelle année ? Sans précision, le texte laisse supposer qu'il s'agit de l'année suivante celle des récits précédents. Il ne s'avère que implicitement que nous passons à la quarantième année. Ainsi, en omettant l'année des nouveaux évènements la Tora renforce l'impression que rien n'a changé dans la conduite du peuple depuis la sortie d'Egypte. Si la nouvelle génération ressemble à celle de ses pères, pourquoi mérite-t-elle alors d'entrer en Terre d'Israël ? Pour répondre à cette question, il faut se rappeler la seule raison invoquée par D. lors de la condamnation à demeurer dans le désert (Nom. 14, 28) :
"Selon les paroles que vous m'avez fait entendre, ainsi vous ferai-je."
Le refus d'entrer en Terre d'Israël et le manque de confiance en D. ont empêché la première génération d'entrer sur la Terre promise. Or sur ces points, il est aisé de constater combien la nouvelle génération diffère de la première. Cette génération commet les mêmes fautes que celles de ses pères, elle mène également ses premiers combats. Cette fois le peuple fait preuve de courage et de détermination. Cela ne signifie pas que les hommes de cette génération soient assurés de leur supériorité militaire ou qu'ils sous-estiment leurs ennemis. Leur courage est l'expression sincère de leur volonté de se soumettre aux ordres de D.. Cela peut paraître étonnant, mais telle est en vérité la nature humaine, faite d'apparentes contradictions. Les mêmes hommes fautent, trébuchent, se trompent et sont pourtant animés d'une fois sincère en D.. Leur volonté de Le servir est profonde même s'il leur arrive de mal l'exprimer ou de dévier. Cela nous apprend que D. n'a pas attendu qu'Israël atteigne un stade de perfection pour lui donner la Terre d'Israël. De même pour la génération précédente, ce n'est qu'à partir de la faute des explorateurs qu'elle est condamnée à demeurer dans le désert. Le niveau attendu par D. est celui de la volonté, celui où, en dépit des erreurs, l'homme ne manque pas les occasions.
L'aboutissement de l'histoire de notre peuple est le fruit d'un long apprentissage qui se fonde nécessairement sur l'accomplissement des mitsvot / commandements. Les mitsvot constituent concrètement l'expression de notre volonté, de notre désir d'avancer. L'erreur est humaine, les doutes et les tâtonnements aussi. Mais armé de la ferme volonté de toujours s'améliorer, de ne jamais se suffire et de s'élever toujours plus haut, l'espoir est permis. C'est cette espoir, maintenu par les centaines de générations qui nous ont précédés qui forme la trame de notre histoire. Nous en sommes nous aujourd'hui les acteurs. Il n'appartient qu'à nous d'avoir à nouveau la ferme volonté de la réaliser.
Le pur de l'impur, la vie de la mort
La loi de la vache rousse est placée entre les deux générations. Que dit le lourd silence qu'elle recouvre ? Il exprime sans mots la résignation d'une génération entière vouée à la mort, à la faillite de ses espérances, à l'impression de s'arrêter sur le chemin de la Terre promise. Ce même silence nous révèle également la détermination de cette génération à transmettre, à enseigner, à planter les souches dont les fruits pousseront alors qu'elle ne sera plus là. De cette union entre les générations ressort la responsabilité assumée de ses actes passés, la volonté de réparation, la compréhension d'une attente patiente, l'assurance en D. malgré les erreurs. Pourquoi avoir alors choisi cette mystérieuse loi pour faire le lien autant qu'elle marque la séparation ? Peut-être parce que plus que toute autre elle exprime l'idée d'un renouvèlement toujours possible, d'une purification. Par cette loi D. nous enseigne ce que l'homme ne peut pas admettre naturellement : de la mort et de la cendre peut renaitre la vie. Comme ces prêtres qui se rendaient impurs afin de purifier leurs frères, il faut admettre que l'on ne peut pas aider sans un don de soi.
Dans les cendres de la vache rousse comment reconnaitre l'ancienne perfection ? De même, il faut parfois faire le deuil d'un passé idéal, d'une espérance inaboutie pour laisser la place à une autre vie. C'est de se défi merveilleux à relever que s'ouvre l'accès au Sanctuaire.
Ariel REBIBO
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