lundi 12 mai 2008

Réflexion sur la sidra behar

La constitution du Sinaï
Par le Rabbin Ariel REBIBO

Tous les sept ans, la terre d'Israël ne doit pas être travaillée et les dettes sont annulées. Sept fois sept ans sont suivis du yovel / jubilé. Durant cette cinquantième année le travail agricole est là-encore interdit, chaque terrain revient à son propriétaire d'origine et les esclaves sont libérés.
Les valeurs de liberté, d’égalité et de justice sociale ressortent évidemment de ces règles. Elles s’appuient sur l’affirmation de la propriété et du droit exclusivement divins de la Terre. La réalisation d’un plan septennal et quinquagénal qui devrait en découler peut cependant paraître difficile. Un tel plan ne nous est en tout cas pas décrit par la Tora. Le problème de la relation de la Loi à l’Etat et d’une manière plus générale à la vie pratique se pose alors.

Sur le Mont Sinaï
Les lois de l’année sabbatique et du jubilé sont introduites par le verset suivant :
"L'Éternel parla à Moïse sur le Mont Sinaï en disant : Parle aux enfants d'Israël et tu leurs diras, lorsque vous viendrez sur la terre que Je vous donne, la terre chômera son shabbat pour l'Éternel."
A la suite du midrash, Rashy nous explique :
« De même que l’année sabbatique a été enseignée dans ses généralités et ses détails sur le Mont Sinaï, toutes les autres lois de la Tora l’ont été également. »
En application d'un principe d'exégèse, ce que la Tora affirme dans un cas est toujours valable, sauf précision contraire. Ici, le commandement de l'année sabbatique sert de modèle d'une loi enseignée sur le Mont Sinaï dans ses moindre détails. Se pose alors la question : pourquoi choisir particulièrement celle-ci ?
Si la Tora ne l’avait pas précisé, nous aurions probablement pensé que cette loi, plus que toute autre, n’a pas été enseignée sur le Mont Sinaï. Les lois de l’année sabbatique dépassent le cadre individuel, familial ou national des autres lois. Le « spirituel », le « cultuel » ou le « social » qui se retrouvent dans l’ensemble des lois de la Tora prennent ici place dans un système qui régit toute l’économie du pays et en conséquences ses choix politiques. Or, il est naturel de considérer que le peuple, le pays et l'Etat précèdent la Loi du Pays. L'expérience historique et les valeurs prônées à une époque et dans un endroit précis amènent peu à peu à l'établissement d'une constitution. Pour la Tora, la loi précède le peuple et l'Etat. Le désert du Sinaï précède l’entrée en Terre d’Israël. Il en ressort que, si même l’année sabbatique a été enseignée sur le Mont Sinaï dans ses moindres détails, à plus forte raison les autres lois.
"Lorsque vous viendrez sur la terre que Je vous donne", dit l'E-ternel, vous devrez créer une société en fonction de mes lois et non décréter des règles en fonction de votre société. L'action politique doit pour cela se mettre au service des valeurs de liberté et de justice en affirmant l’autorité divine au-dessus de tout pouvoir. Mais tant que la légitimité de ces valeurs dépendra de celle des Etats, et non l'inverse, les lois du Sinaï resteront révolutionnaires.

Sur la Terre d’Israël
« Que la Loi divine précède l’Etat » est un vœu pieux resté à l’état d’idéal. Historiquement les années sabbatiques et de jubilé n'ont jamais été pleinement appliquées. Une telle politique économique paraît irréalisable. La Tora impose des lois mais laisse démunis les femmes et les hommes d’Israël quant aux moyens de les faire appliquer. Mais il ne peut pas exister de recette miracle puisqu’à chaque époque et en fonction de chaque société d’autres problèmes se posent qui nécessitent d’autres solutions. Comment un pays peut-il cesser sa production agricole ? Comment subvenir aux besoins de la Nation et rémunérer toutes les professions qui se trouvent au chômage ? Comment changer les mentalités et faire annuler les dettes sans mettre un frein à l’emprunt ? Réintégrer les terres dans leur détention d’origine sans bloquer l’économie ? Interdire l’esclavage et ne pas entraîner des difficultés de main d’œuvre ?
Evidemment ce dernier exemple fait aujourd’hui sourire. A l’inverse, pour nous, quelle idée saugrenue de légitimer l’esclavage ?! Mais le mérite que l’esclavage soit aboli ne revient pas à la seule « philosophie des lumières ». Le progrès technique a permis cette avancée morale. Le constat est évident : les machines ont remplacés les esclaves - et encore pas complètement. Cet exemple de l’esclavage est donc particulièrement instructif. Il ne suffit pas de doter une constitution ou un programme politique de brillants idéaux, il faut encore chercher et trouver les moyens pratiques pour les mettre en œuvre.
Dans le même sens, la volonté de doter le peuple d’Israël d’un Etat doit exprimer le désir de trouver les moyens pratiques pour mettre en oeuvre les principes extrêmement exigeants de la Tora. A l’exemple de l’année sabbatique et du jubilé, les mitsvot ne prennent forme pleinement qu’à un niveau national. L’E-ternel ordonne les principes – ceux qui le servent ont le devoir de trouver leurs applications pratiques. Mais est-ce vraiment réaliste ?

Grâce à l’E-ternel
Précisément au sujet de ces lois, La Tora fait entendre nos hésitations (Lév. 25, 20 – 22) :
« Et si vous dites : - Qu’allons-nous manger la septième année, puisque nous n’allons ni semer ni amasser notre récolte ? J’ordonnerai alors ma bénédiction pour vous la sixième année et elle produira la récolte pour trois ans. Vous sèmerez pendant la huitième année et vous mangerez de l’ancienne récolte jusqu’à la neuvième année, jusqu’à ce qu’arrive sa récolte vous mangerez de l’ancienne. »
La Tora ne nous demande pourtant pas de nous lancer dans le vide. Chaque vendredi il tombait également une double portion de manne pour pouvoir en consommer le shabbat. Nous n’en déduisons pas que nous devons attendre inactifs que la bénédiction divine se réalise (A. Z.) :
« Seul celui qui a peiné la veille de shabbat, mange pendant shabbat. »
Les années sabbatiques et les jubilés impliquent une organisation réfléchie de la société. L'annulation des dettes et le retour des terres ne s'improvisent pas. Six ans et quarante-neuf ans ne sont pas de trop pour mettre en place les années sabbatiques et les jubilés fidèles aux exigences de la Tora tout en accord avec les contraintes de chaque société. L’assurance de la Tora que l’E-ternel pourvoira à nos besoins si nous accomplissons la Tora est une assurance que ces lois ne sont pas complètement surnaturelles. Au contraire, la nature intègre essentiellement la notion d’arrêt après un cycle de six. Depuis la Genèse nous savons que travailler sans arrêt est contre-nature.
Tel est le message de la Tora : Les contraintes de la nature et du travail ou de la condition humaine et de ses penchants ne justifient pas nos fautes morales, sociales et religieuses. L’E-ternel crée un monde que la Justice, le Bien et la Vérité peuvent parfaitement diriger. Les ordres de la Tora correspondent à l’ordre de la nature. A l’inverse, la Création ne peut pas subsister sur la violence et le refus de D.ieu, ni même sur des concessions aux faiblesses humaines. Le mal et le mensonge sont contre-nature.
Longtemps, le repos hebdomadaire était inconcevable ; il paraît aujourd'hui évident dans toute les sociétés. Mais le devoir de notre peuple est de ne pas attendre des millénaires que le principe soit admis. La Tora nous interdit d’accepter entre temps les contraintes de la vie en nous arrangeant avec la loi. Elle nous contraint à appliquer la loi en nous arrangeant avec les contraintes.

L’Ordonnateur des lois de la Tora et des lois de la nature, nous assure que c’est possible et que seul cela est possible.

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